BackLes programmes pilotes de vente de cannabis en Allemagne

Un élément clé du modèle allemand de légalisation du cannabis pour les adultes repose sur l'introduction d'essais pilotes régionaux visant à tester la vente commerciale de la plante. Récemment, le pays a franchi une étape importante dans la mise en place de ce programme en annonçant que l'Office fédéral de l'agriculture et de l'alimentation participera à la supervision de projets de recherche sur le cannabis, incluant certains de ces essais. Voici un point sur le fonctionnement de ce programme et son état d'avancement.

 

L'Allemagne a adopté les premières dispositions de la loi CanG sur la légalisation du cannabis le 1er avril 2024, permettant aux adultes de cultiver jusqu'à trois plants chez eux et de posséder une quantité définie de cannabis, que ce soit à domicile ou à l'extérieur. À compter du 1er juillet 2024, ils pourront également demander à adhérer à un club de culture privé. La culture, la possession et la consommation dans un cadre privé ou au sein de communautés de culture s’inscrivent dans ce que l’on appelle le « pilier 1 » de la législation allemande sur le cannabis. Un autre aspect essentiel du modèle allemand de légalisation repose sur ce que l'on appelle le « pilier 2 », à savoir l'introduction d'essais pilotes régionaux pour la vente de cannabis. Fin de l’année dernière, le gouvernement a franchi une nouvelle étape en annonçant que l'Office fédéral de l'agriculture et de l'alimentation jouerait un rôle clé dans la supervision de ces programmes qui ont pour objectif l’évaluation et l’émission de directives en vue du développement d'un marché commercial réglementé, ouvrant ainsi la voie à une future application plus large en accord avec la législation européenne.

 

 

Ces essais couvrent environ 25 villes allemandes, ainsi que deux districts berlinois, Friedrichshain-Kreuzberg et Neukölln. Ils permettent aux participants inscrits d'acheter légalement des produits issus du cannabis dans des points de vente agréés. En testant divers modèles de distribution et de consommation dans un cadre contrôlé, le gouvernement cherche à mesurer l'impact de cette approche sur la santé publique, à limiter la dépendance au marché noir et à offrir des alternatives plus sûres aux consommateurs. Ces programmes visent également à recueillir des données relatives aux créations d'emplois, aux recettes fiscales et au potentiel d’une industrie réglementée, tout en abordant les inégalités liées à la criminalisation disproportionnée des communautés marginalisées sous les anciennes lois d’interdiction. Chaque ville adaptera son projet pilote en fonction de ses besoins locaux, établissant ainsi un système décentralisé qui illustre l'engagement de l'Allemagne en faveur de politiques basées sur des données probantes. Par exemple, dans les districts berlinois concernés, à partir de l’été 2025, les clients souhaitant acheter du cannabis devront être enregistrés localement et participer régulièrement à des enquêtes scientifiques. L’étude, prévue pour une durée de cinq ans, leur permettra d’acheter légalement des fleurs de cannabis ainsi que d’autres produits contenant du tétrahydrocannabinol (THC) dans des magasins spécialisés créés à cet effet. Conformément à la loi sur le cannabis, les participants pourront acheter jusqu’à 50 grammes par mois, avec une limite de 25 grammes par transaction. Toute revente ou cession à des tiers sera strictement interdite sous peine d’exclusion du programme. Un groupe de contrôle, composé de membres d’un club social de cannabis local, viendra compléter l’étude. La distribution sera assurée par une entreprise chargée d’acheter le cannabis auprès de producteurs légaux en Allemagne ou à l’étranger. Le prix de vente devrait s’aligner sur celui du marché noir, soit entre 9 et 12 euros par gramme, tout en garantissant une qualité nettement supérieure. Une récente analyse en laboratoire du cannabis issu du marché noir de 30 villes allemandes, dont Berlin, met en évidence l’urgence de lutter contre ce commerce illégal afin de protéger la santé des consommateurs. Ses résultats ont en effet révélé que plus des deux tiers des échantillons testés contenaient des traces de pesticides toxiques, tandis qu’environ un tiers était coupé avec des substances comme de la laque pour cheveux. Des traces d’autres drogues, notamment de la cocaïne et de la MDMA, ont également été détectées. Ces résultats soulignent l’importance cruciale de garantir un approvisionnement en cannabis propre et contrôlé, comme celui prévu dans le cadre des projets pilotes dont il est ici question. Le programme de vente réglementée devra désormais évaluer si les dispensaires agréés peuvent offrir une alternative viable pour atteindre cet objectif.

 

Fin 2024, le ministère fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture (BMEL) a officiellement signé l’ordonnance le désignant comme autorité de régulation des projets pilotes en Allemagne. Si cette annonce semble ouvrir la voie à une participation croissante des municipalités, des universités et des entreprises du secteur – qui peuvent désormais demander des licences pour mener leurs propres projets de recherche sur le cannabis –, cette « avancée majeure » s’accompagne néanmoins de certaines réserves. Malgré les attentes, le BMEL a tenu à préciser que son rôle réglementaire reste distinct du tant attendu deuxième pilier de la loi CanG. Selon le document des points clés, ce deuxième pilier vise à tester des « magasins spécialisés à travers le pays dans le cadre d’une loi complète et détaillée », toujours en cours de rédaction par le ministère de la Santé, lequel demeure responsable de l’approbation des projets de recherche sur le cannabis médical. Cette approche rapproche le modèle allemand de celui des Pays-Bas ou de la Suisse, où de petites études ciblées sur le cannabis et le chanvre industriel peuvent être menées. Ainsi, il ne s’agit pas encore du véritable « deuxième pilier » de la légalisation. Comme l’expliquent les autorités allemandes dans une récente FAQ officielle : « Le deuxième pilier vise à tester les magasins de cannabis à l’échelle nationale au moyen d’une loi complète et détaillée, dont la rédaction relève du ministère fédéral de la Santé. »

 

 

L’avenir du programme mis en place par le Parti social-démocrate (SPD) et ses alliés est aujourd’hui incertain. L'Allemagne organisera des élections fédérales le 23 février, et selon les prévisions, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), alliée à des forces ultranationalistes comme l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), pourrait remporter le scrutin. Ces partis opposés à la légalisation du cannabis disposent d’une certaine avance dans les sondages, alimentant les spéculations sur une possible abrogation de la loi par le futur gouvernement. Cette incertitude accroît la pression pour lancer rapidement les projets pilotes, car une fois qu’une entreprise ou une institution aura obtenu ses licences, celles-ci resteront en théorie valides, même en cas de réforme législative, empêchant ainsi leur annulation par un nouveau gouvernement. Les analystes de l’industrie du cannabis en Allemagne sont partagés quant à l’attitude qu’adopterait la CDU en cas de victoire. Certains estiment qu’elle pourrait revenir sur les réformes récentes, tandis que d’autres pensent qu’elle pourrait les maintenir, du moins partiellement. Bien que l’alliance entre la CDU et l’Union chrétienne-sociale (CSU) domine les sondages, elle devra probablement former une coalition avec le Parti social-démocrate, le Parti libéral-démocrate ou les Verts. Des ajustements réglementaires ne sont donc pas à exclure, mais le cadre actuel, déjà très restrictif, ne devrait pas être radicalement bouleversé. Par ailleurs, le marché du cannabis médical devrait, selon toute vraisemblance, rester stable et poursuivre son développement sans interruption. En résumé, le programme pilote allemand marque un tournant décisif dans la réforme du cannabis en Europe. En alliant santé publique, potentiel économique et conformité réglementaire, il établit une nouvelle référence pour les politiques enfin fondées sur des données empiriques. Pour les entreprises du secteur, c'est une opportunité unique d’accéder à un marché en pleine expansion et porteur d’avenir. Les acteurs de l’industrie doivent rester attentifs et prêts à saisir les opportunités qu’offre l’Allemagne, véritable pionnière en matière de réforme du cannabis. Toutefois, l’évolution de cette initiative dépendra largement des dynamiques politiques à venir. L’issue des élections du 23 février et la future composition du Bundestag seront donc déterminantes pour l’avenir de cette législation.